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Théo : Il n’y a pas beaucoup de mes jeux pour lesquels je peux vous donner avec autant d’exactitude le moment où j’ai eu l’idée de départ, mais c’est le cas pour celui-ci.

On est le mercredi 21 février 2018, veille de mon départ pour le Festival des jeux de Cannes et je n’arrive pas à dormir. C’est certainement l’excitation du moment qui me maintient éveillé et je commence à réfléchir, dans le noir et dans mon lit, à la sélection de l’As d’Or de cette année. Dans la sélection enfant, j’aime énormément le jeu Perlatette de Marco Teubner, édité par Drei Magier et localisé par Gigamic. Je trouve le jeu très agréable, je suis impressionné par l’idée centrale et le déploiement de sa scénographie. Je continue à errer dans mes pensées en me disant que j’adorerais faire un jeu de cet acabit et que bosser avec Drei Magier serait une belle expérience. Je m’endors alors avec les premières idées : on regarde au travers d’un grand paravent une pièce dans une maison de sorcière, éclairée à la lampe torche, et on doit repérer plusieurs éléments (Est-ce que le chat est sous la table ? Est-ce que la citrouille est dans la cheminée ?).

C’est un exercice que je fais très souvent, avoir des idées juste avant de trouver le sommeil, et je me réveille souvent le lendemain en les ayant oubliées ou en les trouvant nulles. Bonne nouvelle, le lendemain matin, je me souviens de tout et ça me semble être une bonne piste.

Je file donc pour le festival avec ça en tête.

De retour, l’excitation est toujours là et j’ai très envie de bricoler le premier proto. Pas mal d’huile de coude pour arriver à une très belle (et grande) pièce de maison de sorcière. J’imprime des jetons, je découpe de quoi jouer et hop… c’est complètement nul. Rien ne fonctionne. C’est trop volumineux, trop bruyant, quand on secoue la boîte pour déplacer les jetons, ces derniers ne bougent pas assez. L’idée était belle mais (et ça arrive) le jeu n’est pas bien. Dommage, je vais garder l’idée dans le fond de mon esprit, mais dans ma tête le proto est presque mort.

Dans la vie, j’ai de la chance, ma compagne est vraiment joueuse et c’est souvent ma première testeuse. J’ai aussi de la chance, elle est vraiment cool et elle m’écoute lui raconter mes journées de création.

On se retrouve donc à la sortie de son boulot et je lui montre le proto en lui disant que ça ne marche pas, mais que je suis fier de mon proto raté (parce qu’il est beau).

Le proto de départ : joli mais peu fonctionnel - La maison des souris
Le proto de départ : joli mais peu fonctionnel

Élodie : Un soir comme un autre, je rentre du travail et découvre sur la table du salon un proto de jeu, comme beaucoup d’autres croisés dans notre appartement. Sauf que cette fois-ci la boîte, bricolée par Théo, renferme un début de décor de maison de sorcière. Aimant énormément les jeux de société, je suis assez avide de nouvelles découvertes en la matière (toutes mécaniques et thématiques confondues), mais ce qui me touche par-dessus tout dans un jeu c’est le fait de me sentir véritablement incluse dans une mécanique de jeu. J’aime y incarner mon propre rôle, devenir actrice d’un scénario ludique et me sentir basculer dans un univers tout entier. Et c’est cette fameuse sensation que je retrouve ce soir-là en testant le proto de Théo, penchée par-dessus un paravent, scrutant les affaires d’une sorcière avant son retour chez elle. Seul bémol à cette première expérience, Théo m’annonce que le proto ne fonctionne pas (et il y a effectivement quelques petits problèmes) et qu’il risque donc de se retrouver sur l’étagère des protos en passe d’être oubliés.

Théo : Plus tard dans la soirée, nous nous dirigeons vers chez des amis pour notre soirée jeu de rôle. On a environ 15 minutes de marche et c’est l’occasion de continuer de papoter. Je continue de chouiner un peu sur ma journée de travail qui n’a abouti qu’à un proto qui ne fonctionne pas…

Élodie : … Et je continue de penser que le jeu pourrait fonctionner. Qu’il faudrait effectivement modifier un peu le matériel afin de le rendre plus compact et immersif et que la mécanique nécessite plusieurs ajustements, mais qu’il ne faut surtout pas abandonner le projet. L’idée est bonne et peut aboutir, j’en reste intimement persuadée.

Portée par nos échanges, je commence à cogiter sur le matériel vu précédemment et me dis qu’espionner un salon de sorcière est un bon début mais que j’aurais, en tant que joueuse, envie d’en voir davantage. Pouvoir me balader dans la maison toute entière. Profiter d’une multitude de petits détails qui me pousseraient davantage à me prendre au jeu.

Théo : Élodie me parle donc de regarder dans une maison entière plutôt que de se pencher seulement dans une pièce et je trouve l’idée excellente. C’est le déclic qui me manquait, l’idée qui peut faire basculer le proto de « Je ne fonctionne pas » à « Je suis cool ». Je cogite dessus en marchant et propose alors à Élodie de devenir ma co-autrice. Il y a toujours une frontière entre les retours des testeurs et les retours des co-auteurs, mais Élodie me propose un changement tellement fort et que j’aime tellement que je ne m’imagine vraiment pas simplement lui dire « ok merci pour l’idée, c’est chouette ».

Élodie : Être co-autrice, c’est la première fois que l’on me fait cette proposition, donc je ne sais pas du tout où je mets les pieds. Tout ce que je sais (et ce qui me plaît déjà) c’est que je vais pouvoir mettre la main à la pâte pour la conception du deuxième proto de ce qui s’appelait alors « La maison de la sorcière ». Mesurer, découper et coller dans tous les sens, c’est d’ailleurs ce que l’on fait dès le lendemain, afin de voir au plus vite si l’idée évoquée la veille peut sauver le jeu. La boîte de jeu entière devient la maison de la sorcière, divisée en quatres pièces distinctes et nous utilisons le couvercle afin de servir de murs et de toit à cette nouvelle version. On reprend l’idée initiale de Théo d’avoir une lumière éclairant le tout durant un temps limité et boum… la maquette s’éclaire.

Le prototype final de la Maison

Théo : Arrive le moment des premiers tests et je confesse que tout va bien très vite. On s’amuse pas mal et le jeu fonctionne comme on le souhaiterait. Évidemment, il y a des choses à corriger, mais (et c’est pas commun) tout se goupille vraiment rapidement après cette première phase de gros doutes.

On passe donc rapidement à l’étape suivante : contacter les éditeurs. Comme Gigamic a localisé Perlatette et que je les connais bien, je les contacte en premier pour leur présenter le proto (avec en tête que si ça ne correspond pas à ce qu'ils font, ils pourront peut-être me mettre en contact avec Drei Magier Spiel). Benoît m'annonce que le jeu lui donne envie sur le papier et qu'il est chaud pour avoir plus d'informations.

Je tourne alors, comme à mon habitude, une petite vidéo de présentation du jeu et l’envoi à Benoit. À ce stade, on discute avec Élodie et on est aussi bien chauds pour travailler avec Gigamic si ça les branche. Bonne nouvelle, ils sont intéressés. On se retrouve alors avec Benoit sur le festival LudiNord à Lille et on fait une partie ensemble. Le jeu le botte vraiment bien et il repart avec une boîte. Comme la réalisation d’un prototype prend ÉNORMÉMENT de temps, on ne le présente qu’à un seul autre éditeur qui repart avec également. Une bonne journée.

Peu de temps après, Gigamic fait plusieurs parties et souhaite nous faire des retours. Le timing est pas mal, puisqu’on se retrouve une dizaine de jours plus tard pour les Ludopathiques, le très sympathique week-end jeu organisé par Bruno Faidutti. C’est sans compter sur l’exaltation du week-end qui nous laisse peu de temps pour papoter du jeu. Benoit fini par me débriefer, entre deux tours de Terraforming Mars et à quatre heures du matin. Il faut retravailler notre copie, mais les retours sont très pertinents et la motivation de Benoit est super communicative.

Élodie : Une fois rentrés sur Bruxelles, nous reprenons le proto en nous appuyant sur les différentes remarques de Benoit.

Premier point, toujours en lien avec l’aspect immersif du jeu et le fait de vouloir donner plus de peps à sa mécanique : la sorcière. Notre première version propose un jeu d’observation dans lequel les joueurs doivent ensuite s’entraider à répondre à différentes questions sur la localisation de tel et tel objet dans la maison. Le succès de la partie repose alors sur le nombre de réponses correctes obtenues, ainsi que sur un barème de notation à la Hanabi. Mis à part le léger stress généré par l’extinction de la lumière à chaque manche, le jeu se déroule donc plutôt tranquillement, avec des phases de réponse calmes qui, en cas d’erreur, n’impliquent aucune retombée directe pour les joueurs (si ce n’est la note finale). Un calme qui ne laisse pas du tout transparaître notre scénario initial d’une sorcière sur le point de revenir chez elle, pouvant nous prendre la main dans le sac à tout moment.

Nous nous lançons donc dans la création d’une piste de déplacement (annexe au plateau de jeu) sur laquelle une sorcière avancerait en direction de sa maison, au fur et à mesure des erreurs faites par les joueurs.

Second point, augmenter la difficulté du jeu. Il semble en effet intéressant à l'équipe de Gigamic que notre jeu puisse proposer une mécanique évolutive aux joueurs afin de varier les parties. Pour moi, cela inclut aussi le fait de proposer un jeu qui plaise à la fois aux enfants et aux parents (qui redoutent parfois l’ennui). Ceci étant dit, nous ajoutons de nouveaux jetons objets plus subtils dans leur illustration à ceux déjà existant. Ces jetons peuvent être ajoutés aux autres avant le lancement de la partie selon le niveau de difficulté recherché. Enfin, toujours dans l’objectif d’améliorer le challenge offert par le jeu, nous mettons en place trois lots de cartes questions différents (vert, jaune et rouge) correspondant à trois niveaux de difficultés distincts.

Les cartes Question qui seront remplacées par les plateaux - La maison des souris
Les cartes Question qui seront remplacées par les plateaux

Théo : On envoie tout ça à Benoit qui revient très vite vers nous pour nous dire que cette version lui plaît beaucoup. Mais c’est l’été, et l’été tout va moins vite… alors on patiente pour avoir une proposition concrète qui ne tarde pas à arriver avec la rentrée. Sept mois après le tout premier prototype, Gigamic veut éditer le jeu. Bim, c’est l’explosion de joie, on est ravis. Je suis encore plus content que d’habitude car c’est aussi le premier jeu d’Élodie et que je suis comme un ouf de partager cette expérience avec elle.

Signature du contrat ! - La maison des souris
Signature du contrat !

Et puis… et puis il faut patienter pas mal. Le processus d’édition d’un jeu est toujours un peu long, mais La Maison de la Sorcière propose un vrai défi éditorial et Gigamic s’active pour répondre à toutes les questions que la fabrication du jeu apporte.

Élodie : Après déjà plusieurs petites modifications, Delphine nous rejoint sur le projet en juillet 2019. Super enthousiaste, elle nous apporte de nombreuses idées afin d’améliorer la lisibilité du jeu ainsi que son aspect immersif. Un plateau vient alors rapidement remplacer le lots de cartes questions et la maison de la sorcière se transforme en chaumière pour petites souris ; donnant un sens bien plus profond à l’entièreté du matériel imaginé.

Les versions du jeu s'enchaînent, les rédactions et relectures de règle se multiplient et l’on découvre les premiers croquis de Jonathan Aucomte. Chaque modification rend le projet de plus en plus concret à mes yeux, et chaque illustration réalisée par Jonathan renforce mon excitation. Je trépigne d’impatience avant chaque rendez-vous. J’oublie très vite mon stress et ma timidité des premiers échanges et suis surtout heureuse de constater que nous partageons tous les quatre une vision et un attachement identique à ce jeu.

Théo : La vie du jeu continue tranquillement et on tisse une très belle relation de travail avec Delphine. Elle nous tient au courant de chaque évolution et je nous sens très écoutés. Je n’ai pas cessé de lui répéter, mais je n’ai même pas peur qu’elle prenne la grosse tête, Delphine est une des meilleures éditrices avec qui j’ai eu le plaisir de bosser. La découverte des illustration de Jonathan est aussi un très grand plaisir. À ce moment-là, je connais assez bien son travail, mais je ne l’ai jamais croisé. La situation change puisque j’ai l’occasion de le rencontrer et d’échanger avec lui suite à l'enregistrement d'une Tric Trac TV. Jonathan m’annonce avoir eu beaucoup de plaisir à travailler sur le jeu (notamment, trop chou, en pensant à comment sa fille découvrirait le jeu quand elle sera un peu plus grande) et me montre les croquis des souris (et du logo) dans son carnet. Je suis aux anges.

Rencontre avec la version provisoire présentée au Festival de Cannes - La maison des souris
Rencontre avec la version provisoire présentée au Festival de Cannes

Élodie : C’est le 20 janvier 2020 que nous commençons à recevoir les premières photos du prototype couleur de ce qui va devenir La Maison des Souris. Je réalise alors tout le chemin parcouru lorsque je compare cette nouvelle version du jeu avec notre prototype cartonné à la découpe parfois acrobatique.

Presque un mois plus tard, je parviens à faire un saut au Festival des jeux de Cannes avec Théo et me retrouve pour la première fois face à ladite maquette. Je suis comme une gosse, à la fois surexcitée d’enfin pouvoir observer dans le détail tout ce qui a été fait depuis le début de cette aventure et en même temps complètement intimidée par la situation. Je m’approche d’un pas hésitant du jeu et n’ose pas prendre la boîte dans mes mains, ce qui fait sourire Delphine. Je suis tout simplement scotchée par le résultat et le fait que ce jeu soit le nôtre.

Enfin, je ne peux pas parler de ce Festival de Cannes sans aborder ma rencontre avec Jonathan. C’est en sortant d’un restaurant que Théo me le présente pour la toute première fois et que je découvre enfin le visage de celui qui se cachait derrière ces magnifiques illustrations. Une rencontre surprenante, car après plusieurs mois passés à travailler ensemble sur un même projet en parfait inconnus l’un pour l’autre, nous discutons enfin du jeu côte à côte.

Théo : Au moment où Élodie et moi écrivons ce carnet, c’est l’été 2020 et La Maison des Souris arrive dans quelques petits mois. Malgré le fait que j’ai déjà sorti quelques jeux, c’est toujours avec un mélange d’appréhension et de joie que je vois une de mes nouvelles création arriver. Ici, le jeu est spécial à beaucoup de niveaux et j’espère que vous y trouverez la magie qu’on a souhaité y mettre. Bon voyage dans La Maison des Souris et merci pour votre lecture.

Élodie : Comme Théo j’attends l’apparition des premières boîtes de notre jeu avec une légère boule au ventre à l’idée de savoir ce que vous allez en penser. J’espère d’ailleurs qu’il vous plaira, tout comme ce carnet. Quant à moi, je suis déjà plus que satisfaite du chemin parcouru et heureuse d’avoir pu faire éclore ce projet aux côtés de Benoit, Mathilde, Delphine, Jonathan et tous ceux qui dans l’ombre ont mis la main à la pâte. Un grand merci aussi à Théo pour avoir coiffé avec style, en plus de sa casquette de co-auteur, celle de guide dans cette aventure, dont je découvrais toutes les étapes. Enfin, merci à vous pour votre lecture et vos peut-être futurs premiers pas dans La Maison des Souris.